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.... Entre figuration et abstraction ....

....  Hubert PAUGET       

 

Originaire de Châlons-sur-Marne, diplômé en 1967 de l'école des arts décoratifs de Strasbourg, les premières oeuvres d'Hubert PAUGET sont figuratives (paysages champenois), et d'inspiration surréaliste. En arrivant dans les Ardennes en 1969, il découvre cette verte région boisée et vallonnée, sillonnée par la Meuse, au ciel souvent grisâtre, et la peint. Des œuvres figuratives : paysages ardennais, paysages du Nord et compositions florales, il s’évade  par périodes pour revenir à un travail plus intérieur, plus imaginatif, plus proche de ses aspirations artistiques. Pendant presque une vingtaine d’années, il va vivre dans cette alternance entre une peinture représentative et une peinture plus personnelle avant de se consacrer entièrement à l'art abstrait sur différents supports.

Les 1ères peintures surréalistes d'Hubert PAUGET sont une réponse à un appel de la couleur qui ne se démentira d'ailleurs jamais dans toute l'oeuvre du peintre. Le thème de la tauromachie lui donne l'occasion recherchée d'utiliser des couleurs fortes, violentes comme le rouge, l'orange, le noir. Dans ces toiles, au côté du taureau, une ou plusieurs femmes en arrière plan légèrement surélevées et la lune. Cette femme mi-guerrière, mi-romantique par sa longue chevelure folle qui occupe presque tout l’espace de ces peintures, contemple ce puissant spectacle de l'arène. Elle semble à la fois bien présente et lointaine, le regard froid, vide, le visage sans expression, figée par la frayeur ou hypnotisé par le danger, jusque dans l'Hommage aux femmes qui descendaient dans l'arène. Femme spectatrice, femme torero : le mystère féminin de la douceur et de la force. Cette femme mystérieuse se retrouve aussi dans des toiles de représentations architecturales plutôt romantiques, toujours avec cette même tonalité orangée. Là de nouveau un décalage avec cette femme échevelée, sauvage et pure pourtant, dans un monde d'ordre et de beauté. Dans toutes ces peintures comme dans celles où elle apparaît dans l'oeuvre sans réel décor mais pas sans mise en scène, la lune est un élément phare, au point de les assimiler dans une des peintures intitulée la femme-lune. La  lune révèle une face cachée, celle de la femme aux visages parfois si opposées comme le jour et la nuit, la vie et la mort. Dans une autre série d'oeuvres surréalistes, ce sont des scènes animalières qui sont peintes avec toujours les mêmes teintes oranges et avec parfois encore la lune, toujours témoin impuissant de multiples spectacles de vie et de mort.

En 1974, 1975 et 1982, il illustre des poèmes d'Arthur RIMBAUD comme Une Saison en Enfer et le Bateau Ivre qu'il  exposera au Musée Arthur RIMBAUD de Charleville-Mézières. Cette aventure rimbaldienne s'exprime dans des oeuvres interprétatives, impressionnantes dans leurs représentations figurées investies du pouvoir rimbaldien des mots et des couleurs. Celles-ci nous entraînent dans l'univers coloré du poète et dans un voyage pictural grâce à une évolution des couleurs et des techniques, au travers de l’expressionnisme avec Une Saison en Enfer (46 illustrations - 1974), du surréalisme avec des peintures aux titres rimbaldiens, extraits du même poème (2 illustrations - 1975), et du figuratif avec Le Bateau Ivre (25 illustrations - 1982). Plus tard, en 1991 pendant sa période abstraite, il s’inspirera également, des poèmes Le loup criait sous les feuilles et l’éternité, extraits d’Une Saison en Enfer et de Ce qu’on dit au poète à propos des fleurs (21 illustrations).

 En 1983, il réalise  de nouveau quelques peintures surréalistes d’un univers coloré particulier assez sombre, mêlant des architectures classiques, peut-être italiennes, à des minarets de mosquées, et introduisant divers éléments étrangers, attirant l’œil comme des points lumineux. Dans cette atmosphère nocturne de place désertée d’une ville fantôme, un objet est posé là, dans sa solitude, sa non appartenance à ce lieu ou ce temps. Un monde imaginaire étrange avec une symbolique à chercher. Des contrastes entre l'espoir et la réalité, des mondes cohabitant où la lueur du rêve, de l'espérance est en errance ou isolée comme en attente de quelque chose : un avion en papier à la tête cassée ; une tête de mort, illuminée par une lanterne, avec comme dans un vase une rose, symbole de la vie, de l'amour ; une canette de coca-cola abandonnée à l'illusion du rêve américain ; une bougie allumée mais une tortue qui cherche vainement le chemin... Une société si riche de son passé et de son avenir et pourtant en dérive. Il donnera parfois des titres empruntés à Arthur RIMBAUD, comme "O cité douloureuse, ô cité quasi-morte", pour leurs pouvoirs évocateurs mais dans cette série, le titre n'est qu'un support pas une illustration.

Quatre ans plus tard, il prépare pour une exposition collective en Allemagne dans la ville de Prüm, un travail plus léger en couleur. L’église de la ville y est mise en scène à plusieurs reprises. Une architecture réelle : grille d'entrée, fenêtre, église et toujours un objet : un chien, une jardinière de fleurs, un vélo, un pot de fleurs. Cette fois, celui-ci n'est plus "dans" l'espace architectural créé par le peintre et ouvrant la toile vers la fantasmagorie, nous y entraînant presque intrusivement, mais simplement "devant" un bâtiment. Tout comme le spectateur qui reste devant cette toile sans profondeur de champ, devant des entrées fermées, à l'instar de la jeune femme au visage fermé devant sa fenêtre, n'engageant pas l'invitation.

En 1989, il fabrique 20 bas-reliefs pour le mur de la cité scolaire Jean Moulin à Revin dans les Ardennes. Ceux-ci sont d’une facture aux formes géométriques, aux courbes arrondies, aux traits sinueux, serpentant tout le long. Ces dessins en relief ne seront pas sans rappeler quelques années plus tard les sculptures en aluminium.

A partir de cette date, le peintre opte délibérément vers l'abstraction, exclusivement, avec une technique innovante toute personnelle. Aucune de ses œuvres abstraites n’aura de titre. A cette époque, pour lui, pourquoi s’abstraire du réel, s’il faut lui laisser encore un pouvoir de contrôler l’esprit du spectateur en lui imposant une vision des choses par l’introduction des mots si porteurs du sens. Quel cheminement alors pour celui-ci ? Par la liberté de la création, il offre la liberté de la contemplation à chacun, comme un partage de celle-ci, comme un don.

Difficile de dire là ce qui inspire le peintre, le sait-il vraiment lui-même ? Le désir de se libérer et s’abandonner, de découvrir autre chose encore, de l’exprimer autrement par une abstraction spontanée et intuitive. La vraie abstraction a-t-elle un sujet ? Dans ce cas alors, l’artiste n’est-il pas toujours dans le sensible, sa liberté ne reste-t-elle pas aliénée par la réalité ? Peut-on quitter la matérialité du monde, sans abandonner une partie de soi et ce qui nous raccroche encore au monde et à ses objets ? Mais se perdre juste assez, sans savoir où la technique vous emmène, pour en restant soi-même, aller au plus loin d’un pouvoir créateur à découvrir. Et se laisser surprendre par le jaillissement de ce qui se donne à apparaître par ce pouvoir si intime et imprévisible à la fois. Pour étonner le spectateur, ne faut-il pas d’abord s’étonner soi-même de ce que les choses sont, des spectacles de la nature tout autant que de la manière dont l’artiste lui-même est capable de le retranscrire plastiquement, de se laisser emporter et porter par la maîtrise de sa technique, de sa composition ? Et n’est-ce pas ce que tout artiste qui en a la force et le courage tente dans cette expérience, loin de tout et hors du familier ?

A propos de sa production, le peintre travaille par périodes, d’où une peinture par séries, assez repérables. Le déclenchement ne se fait pas en relation avec une humeur mais bien souvent par la volonté d’une réalisation, la pression d’un objectif, d’une exposition. Entre chaque période féconde, il engrange en regardant autour de lui, des visions, des informations, des états (…) qui l’enrichissent, le ressourcent et qui modifient régulièrement sa manière de peindre. Il franchit ainsi à chaque fois comme une étape vers autre chose, en poursuivant sa recherche de relief, force et équilibre, à travers couleurs, formes et matières, quel que soit le support et dans la continuité d’une technique qu’il a fait sienne et qu’il mènera jusqu’à un terme senti. 

Pour ses 1ères recherches abstraites de 1989, Hubert PAUGET utilise des bombes de peinture, du rubson noir (matière caoutchouteuse) et des tampons, appliqués sur des cartons rigides. Le résultat donne une sorte de plan entremêlé, tissé de multiples courbes surnageant au-dessus d’un espace coloré, offrant ainsi une dimension spatiale à l’ensemble. Difficile de dire si on pénètre ou on est envahi, si la composition explose vers vous ou implose en elle, détachée de son espace, en survol ou plaquée sur celui-ci. Happé ou envahi, quelque chose se passe pour le spectateur. Cet univers surprenant qui s'est créé, là, est comme un espace sans air pour y respirer, pour y vivre. Le peintre l'a bien senti et de cette période aux tampons, il fera une étape vers une peinture moins ramassée, moins lourde. Il libère son geste techniquement en laissant les tampons et en prenant comme support des plaques de stratifié.

Cette seconde étape l'amène vers une "abstraction terrestre" laissant une impression de matérialité sans matière mais pas sans épaisseur et de couleurs sombres, limitées par des lignes directrices contenant l’ensemble dans la toile. Ce qui s'échappe pourtant de ces oeuvres, c'est une force remarquable, la force de la terre.

Avec le passage du rubson noir au rubson blanc en 1992, une naissance s'opère vers un monde plus clair, plus fluide, donnant de l'espace, ouvrant un horizon, toujours maîtrisé avec une matière plus compact, plus imprégnée par les couleurs, pour une "abstraction vivante".

En 1992, l'artiste réalise 6 vitraux en résine et des panneaux décoratifs pour l'Eglise de Meillier-Fontaine et fait fabriquer un Christ de dimension humaine par des chaudronniers. Il s'est inspiré des éléments de la nature et en a emprunté les couleurs les plus symboliques : le rouge, le jaune, le vert, le bleu. L'élément central de ces 6 vitraux est un soleil éclatant et flamboyant. A partir de lui, les autres vitraux se déploient comme inondés de son rayonnement. Le soleil est la figure native de la vie et  embryonnaire de cette réalisation. Les panneaux en harmonie avec cette symbolique de la naissance de la vie sont chaleureux, accueillants. De couleurs vives, ils sont emprunts de beauté, de plénitude et d'ordre et le renvoient au spectateur. Ces oeuvres abstraites dans ce lieu de prière et de recueillement, remplissent l'office de spiritualité et de paix recherché par les visiteurs croyants ou non. 

Depuis 1993, il fait fabriquer également dans des fonderies ardennaises, des sculptures originales abstraites en aluminium. Le sculpteur crée, à partir de blocs de polystyrène qu’il taille, des pièces uniques. La sculpture coulée en aluminium est polie sur certaines faces, opposant des surfaces à l’aspect lisse et brillant à d’autres, brutes, rugueuses, plus sombres, qui dépendent aussi de la quantité d’aluminium employée dans le mélange par le fondeur. Entre l’aluminium et le polystyrène, Hubert PAUGET joue dans ses structures sculpturales avec les couleurs, les brillances, les rugosités, les petites aspérités rondes, que le polystyrène qui a fondu sous l’aluminium fait apparaître sous forme de petites billes, mais aussi avec le vide et le plein. Il creuse la matière par rainures, ou pour la traverser afin de voir au-delà d’elle, à travers elle et y mettre des formes dans d’autres formes. Pour la finaliser, la sculpture est laissée telle que ou posée sur socle. Parfois, des ardoises et du bois viennent achever la création. Il fera également quelques sculptures murales.

De plus en plus à l'aise dans sa technique picturale, le peintre éclaircit ses couleurs mais continue à contenir l'envolée aérienne de la matière travaillée, en structurant toujours avec  des voies géométriques, les amas polychromes comme "sculptés" dans la matière plastique et les surfaces fluides.

Entre 1994 et 1997, il fait une série de sous-verre avec des papiers, peints à la bombe dans l’esprit de son travail sur stratifié, qu’il déchire et recompose sur une vitre. Il bombe également les cadres en bois avec les mêmes couleurs.

Les couleurs deviennent de plus en plus restreintes vers le jaune et le bleu. La matière se déstructure, se spatialise dans l'éclatement. Elle est comme en errance dans cette espace construit par ces couleurs et le blanc. Les tableaux sont plus ouverts, plus aériens encore. Sa série jaune et bleu de 1996-98, le jette dans une atmosphère de plus en plus vaporeuse qui s'échappe. Pour maintenir sa peinture dans le monde, la contenir devant-nous, le peintre utilise des ardoises qui ancrent à la fois l'oeuvre et l'artiste. Malgré cela, il se sent à l'étroit avec ces deux couleurs, prisonnier d' «une abstraction immatérielle». Toute autre couleur devient une intruse, un élément extérieur qui gène, gâche, l'aspect intangible et cosmique de cette bichromie harmonieuse céleste où la matière parfois filamenteuse nage sans chemin, livrée à elle-même, en apesanteur. Les rares toiles où l’artiste introduit de la couleur, ne lui donnent pas entière satisfaction et ne lui permettent plus, ni de poursuivre, ni d'avancer.

Au plus haut d'une technique qui vous amène loin de la terre comment revenir? Reprendre pieds ou ne plus peindre! Quelques rares tentatives de reprises. Plus de couleurs, mais non. Le besoin de passer à autre chose! Un temps de réflexion !

Ses oeuvres nouvelles de 2005, mêlent étroitement abstraction et figuratif en laissant voir au spectateur, par l'apparition de silhouettes, de motifs ou à l'aide de graphismes, cette source inépuisable de son inspiration qu'est la nature. Un seul esprit dans des supports différents : peintures sur toiles, peintures sur papier, peintures sur tapis, dessins-croquis. La couleur a repris sa place partout.

Dans ses nouvelles sculptures, ce sont, en plus du bois et des ardoises jusque là utilisés, des billes, des boules de pétanques, des flotteurs de filet de pêche, des sceaux qui, dans l'originalité de la structure en aluminium, ramènent notre vision à du réel dans l'inimaginable : des visages, des oiseaux, des poissons… 

Dans ses nouvelles peintures : ici des fleurs, un tas de bois, des branches, la mer qui se retire et qui laisse apparaître un nouveau paysage de pierres, de rigoles d’eau et de sable (...), du concret qui rassure mais jamais dicté dans sa lecture, son appréhension. Pas de règle imposée, la liberté ancrée dans la matière et la matière libérée de sa forme. Un lieu entre l'artiste et son spectateur pour un monde très personnel ouvert à chacun : une "abstraction figurative". Contrairement à l’abstraction de ses œuvres précédentes, le spectateur et l’artiste peuvent parfois se retrouver ensemble et voir la même chose, « voir autrement» cependant. D’autre fois, seul le peintre et sculpteur sait ce qu’il a voulu représenter « fugitivement ». Hubert PAUGET n’est plus seul avec ses œuvres à propos desquelles il n’y avait pour lui rien à dire car il n’y avait rien à expliquer et comprendre, seulement ressentir, vivre l'oeuvre comme on vit la vie. Avec cette nouvelle étape, il peut enfin les commenter, ne plus se limiter à des indications techniques, parler du sujet, toujours au plus près de la nature, comme les fleurs, la forêt, la mer et les pierres (...), parfois visible parfois caché, comme son style entre l’abstrait et le figuratif, plus encore dans les toiles. A côté de celles-ci et pour la 1ère fois, comme pour ne pas revenir trop vers le figuratif, il varie parallèlement les supports, les techniques (les peintures sur papier, les croquis, les peintures sur tapis) tout en restant dans un ensemble cohérent, imaginé entre abstraction et figuration : une même vision, un même élan créateur dans des séries différentes.

Le parcours d'Hubert PAUGET est comme l'ascension d'un col : diverses voies essayées, diverses prises empruntées. Des étapes, et toucher le sommet, y poser le pied, voir autre chose, autrement. Prendre du recul. Entre le ciel et la terre, trouver son espace! Savoir redescendre, revenir parmi nous sans se perdre et tenter de rendre visible au spectateur ce qu'il réclame de voir, le sensible.

La peinture abstraite est un chemin possible vers l'absolu. Cette immatérialité, exprimée plastiquement par l'artiste dans sa perception personnelle n’a rien d’évidente à approcher au 1er regard et à accepter avant même de la comprendre, sans une certaine habitude de la confrontation visuelle et intellectuelle de cette libération qu’elle représente. Dans un monde régi par des codes, il est plus facile de détourner le regard, d'échapper au malaise, à l'étourdissement, au mystère pour rester en terrain connu, familier, conserver ses habitudes. De ce fait, beaucoup d'artistes reviennent un jour ou l'autre vers les éléments, vers ce qui est dicible, ce qui entrouvre des pistes où prendre pieds, mais pour toujours et encore mieux s'envoler eux-mêmes et emmener avec eux de plus en plus de monde, dans l'imagination, les émotions, les sensations.

A nous d'accepter les oeuvres comme elles viennent à nous, de les laisser "exister", de se laisser envahir par notre sensibilité propre et non celle de l'artiste, qui s'est déjà exprimée, libéré dans cette naissance et n'a pas toujours quelque chose à en dire, ou d'y chercher un sens, une réalité, de se guider par ce que l'on croit reconnaître dans ce qui est donné à voir. Ces dernières oeuvres en effet facilitent cette prise de possession de la toile ou de la sculpture à celui qui prend le temps de s'arrêter et de regarder avec sa personnalité, son vécu, sa culture.

Christelle PAUGET (fille de l'artiste), août 2005

Copyright © Christelle Pauget 2005

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