....
Les illustrations
des Fêtes galantes
de Verlaine...
Hubert PAUGET
Christelle Pauget
Texte
et photographies à télécharger
Hubert PAUGET, Arthur RIMBAUD, Paul VERLAINE
et les Ardennes
Artiste
peintre-sculpteur et illustrateur de poèmes d'Arthur Rimbaud et de Paul
Verlaine, Hubert Pauget est un artiste d’origine champenoise et d’adoption
ardennaise. Ses illustrations sur papier d’Une saison en enfer en
1974 et du Bateau ivre en 1982 ont été exposées dans le musée du
poète de Charleville-Mézières. Ses peintures abstraites de 1991 inspirées
des poèmes Le loup criait sous les feuilles, L'Eternité, Ce qu'on
dit au poète à propos des fleurs ont été accueillies en 2007 dans le
Musée Verlaine de Juniville. En 2008, Hubert Pauget a exposé 22 illustrations des Fêtes galantes à l’Archéoscope
de Bouillon en Belgique.
Lors de son
exposition Rimbaud chez Verlaine, Hubert Pauget a accroché les poèmes
illustrés de Rimbaud dans un lieu consacré à Verlaine. Dans cette ancienne
Auberge du Lion d’Or de Juniville, le poète buvait son
absinthe et a composé certains de ses poèmes. Le peintre a ainsi accompli
une démarche symbolique et artistique qui lui tenait à cœur : réunir ces
deux génies des mots aux destins humain et poétique indissociables. Dans
cette continuité, Hubert Pauget
s’est intéressé aux Fêtes galantes de Verlaine. Les 15
peintures et les 7 sculptures murales ont investi un autre lieu symbolique :
Bouillon, dans les Ardennes belges, où Verlaine a passé une partie de son
enfance. La pérégrination emblématique se poursuivra en 2010, au Château de
Pange dans la région messine de Verlaine, à l’initiative de et avec
l’association
Les Amis de
Verlaine.
**
Si Rimbaud est
« l’homme aux semelles de vent »,
Verlaine est « le fils de l’Ardenne et de l’ardoise ».
Rimbaud est l’enfant chéri des
Ardennais.
Verlaine, un personnage décrié et ce malgré un vécu et une production écrite
sur le sol ardennais et surtout une affection réelle pour les Ardennes : «
Il y a en France des contrées aussi belles que les Ardennes, il n’y en a
peut-être pas de plus belles […] ».
Le poète messin a aimé les paysages de cette région et n’a jamais failli
dans son admiration pour Arthur Rimbaud et sa poésie, à propos de laquelle
il a rédigé tant d’éloges à travers différents recueils, poèmes et
correspondances. Le « prince des poètes »
mérite-t-il dans les petites villes ardennaises sa piteuse réputation
focalisée sur un jugement superficiel de l’homme - un être pervers,
alcoolique, un vagabond - au détriment de son génie poétique ?
Mérite-t-il les panneaux touristiques noircis sur la route
Rimbaud-Verlaine dans les Ardennes ? Un musée à Juniville privé des
moyens financiers pour honorer convenablement la mémoire du poète ? En
illustrant avec modernité la poésie de Verlaine dans notre modernité, Hubert
Pauget lui fait une place dans son œuvre aux côtés de son compagnon poète.
**
Avec
un siècle d’écart, Hubert Pauget partage avec Paul Verlaine l’adoption de
cœur pour la terre ardennaise. Ce lien affectif de résidence, loin de
n’avoir été qu’une curiosité anodine à l’égard du poète, a participé à
tisser un intérêt spirituel et à stimuler son inspiration artistique. Avec
les Fêtes galantes de Verlaine, Hubert Pauget a trouvé la puissance
des phrases mélodieuses et la force des images dont son talent artistique se
nourrit. Si les pairs contemporains du poète ont su reconnaître en lui un
avant-gardiste, tel Mallarmé qui a pu le décrire en « étonnant homme
sensitif » dont l’ « art agile et certain de guitariste s’impose comme la
trouvaille poétique récente »,
si Verlaine a ce génie qui s’inscrit dans l’avenir, qui continue à inspirer
des réflexions, des sentiments, des émotions, tout hommage passe
nécessairement par le fait de le recevoir avec contemporanéité, sans
enfermement stérile dans une époque révolue. Les œuvres peintes ou sculptées
d’Hubert Pauget témoignent à travers sa sensibilité d’artiste, de la qualité
et de la pérennité de la langue poétique de Verlaine qui peut se lire et se
ressentir intemporellement. Qui pourrait s’empêcher de se demander
aujourd’hui ce qu’un esprit novateur comme le sien apprécierait en
contemplant le monde artistique contemporain ?
*****
Le choix des Fêtes Galantes, les couleurs, l’ambiance
Comme il l’avait
fait avant d’illustrer les poèmes choisis d’Arthur Rimbaud, le peintre
Hubert Pauget s’est imprégné de lectures et a alterné recherches et
créations pour réaliser, au terme de deux années de réflexion, 22
illustrations composées de 15 peintures en acrylique et 7 sculptures murales
en verre de synthèse, verre acrylique et matière plastique. Dans ce travail,
le peintre ne devient pas verlainien pas plus qu’il n’a été rimbaldien. Sa
lecture n’est pas celle d’un spécialiste des lettres. Il n’analyse pas
minutieusement de mot en mot chaque phrase, la grammaire ou les règles de
l’art poétique. S’il fait attentivement connaissance avec l’homme, son
aspiration provient de l’harmonie entre la tonalité colorée ou musicale de
sa lecture et sa structuration créatrice. Les vers doivent satisfaire aux
exigences de ses gestes d’artiste. Il doit naître pendant ces mois de
proximité intellectuelle avec le poète, à force d’écoute, une intuition d’un
possible dialogue. De cette entente soupçonnée s’extrait une œuvre inspirée
qui ne se juxtapose pas à un texte mais le fait vivre dans notre modernité
et peut-être même amène à le découvrir autrement.
En invitant
Rimbaud dans le Musée Verlaine, Hubert Pauget a ainsi créé une sorte
de parallèle avec la rencontre entre les deux hommes-poètes à Paris.
Celle-ci a eu lieu en septembre 1871 après qu’Arthur Rimbaud
eût écrit par deux fois à Verlaine. Le jeune poète avait acheté et lu
les Fêtes galantes aussitôt leur parution
et reconnu en mai 1871 en Paul Verlaine, un « voyant », « un vrai
poète ».
Sur l’invitation de Verlaine, Rimbaud s’est rendu chez le poète avec le
Bateau ivre rédigé en août 1871. Et à Juniville, Hubert Pauget a offert
la possibilité à Rimbaud d’amener d’autres poèmes dans ce lieu dédié à
Verlaine.
Le choix des
Fêtes galantes à fin d’illustration parmi toute l’œuvre du poète est
symbolique. En illustrant ce poème qui vraisemblablement a
motivé Rimbaud à écrire et rencontrer Verlaine, outre
le fait qu’il rassemble des couleurs et des nuances qui sont des éléments
fondamentaux dans le travail du peintre, c’est une manière de sceller le
lien indéfectible des deux poètes. C’est également un rapprochement, entre
les textes des Fêtes galantes et du Bateau ivre et un
thème similaire, qui a conforté Hubert Pauget dans son projet : la
thématique de l’échec. En effet, Rimbaud évoque dans ce poème « les
rousseurs amères de l’amour ! ».
« Les Aubes sont
navrantes.
Toute lune est
atroce et tout soleil amer :
L’âcre amour m’a
gonflé de torpeurs enivrantes.
O que ma quille
éclate ! O que j’aille à la mer ! ».
Alors que
Rimbaud, « bateau perdu », « bateau frêle », se livre à une introspection en
solitaire de ses désillusions « dans le Poème / De la Mer.. », Verlaine
cache sa « détresse », masqué derrière un « je » impersonnel, au milieu de
personnages costumés dans un paysage de « Fêtes galantes » d’où l’« extase »
s’efface pour révéler « un avenir solitaire et fatal » dans un « vieux parc
solitaire et glacé ». Ici on peut presque déjà entendre résonner comme image
en double sens, ce vers de Mallarmé qui sera composé en hommage posthume :
« Verlaine ? Il est caché parmi l'herbe Verlaine. »
**
Certes
Rimbaud
est plus coloriste que Verlaine.
Ses poèmes sont des tableaux colorés aux tons vifs rarement nuancés par des
épithètes, même s’il existe des jeux d’ombre et de lumière et des
impressions colorées par l’emploi des adjectifs de couleurs pour autre chose
que des objets. Il utilise fréquemment des noms de couleur, une tonalité
intense, les correspondances chromatiques célèbres des voyelles et des
associations insolites entre les mots et les couleurs… Chez
Verlaine,
les couleurs sont assez peu nominativement citées. Pour beaucoup de
commentateurs, il est poète de la nuance, aux tons blêmes et gris, opposée à
la couleur. Cette représentation est également sous-tendue de manière
importante par les artistes qui depuis le XIXème siècle ont représenté sa
poésie par des illustrations des
Fêtes galantes
et autres poèmes, en noir et blanc, dans les gris colorés, aux tons pastels,
essentiellement des gravures, des eaux-fortes, des lithographies...,
imprimées dans les éditions originales… Pour
Verlaine comme pour Rimbaud, l’iconographie est très
abondante mais les illustrations inspirées des poèmes, peintes ou dessinées
de manière contemporaine, sont rares.
Et avec ses illustrations rimbaldiennes réalisées sur près d’une vingtaine
d’années, Hubert Pauget, à l’instar par exemple de Zao Wou Ki,
fait parti de ces peintres qui ont osé interpréter un poète qui voulait
inventer « l’avenir de la poésie » et auquel Verlaine attribuait du
« génie ».
Il faut beaucoup
d’audace et d’impétuosité pour s’attaquer à des poètes disparus. Beaucoup de
peintres qui côtoient artistiquement les hommes de mots le font dans la
rencontre, l’amitié ou la connivence. Si la tâche est simplifiée par une
familiarité de l’homme et de l’œuvre, elle n’en est que plus lourde par le
regard immédiat que porte l’inspirateur. Le poète René Char par exemple a
collaboré avec des peintres tels que Matisse, Braque, De Staël, Miro,
Picasso, Giacometti, Vieira da Silva… Dans cette relation entre artistes,
chacun y trouve son compte. Le peintre y voit une source d’inspiration, le
poète une plus value dans la publication de son texte enrichi
d’illustrations de peintres célèbres. Quelle que soit la proximité réelle
avec le texte, l’association est acceptée ou ne se fait pas. Ici, Rimbaud ou
Verlaine ne peuvent dire mot. Ce n’en est que pire encore. Avec facilité
chacun s’octroie le droit de connaître intimement et spirituellement ceux
qui ne peuvent opposer une autre réalité contradictoire, ou du moins chacun
peut facilement se laisser porter vers sa vérité et s’illusionner. C’est le
spectateur qui aura donc le dernier mot et c’est à l’artiste seul de faire
face avec son interprétation artistique.
**
Des scènes de
fêtes galantes ont été peintes par Watteau. Verlaine a vraisemblablement pu
admirer certaines de ses œuvres et ses clairs de lune. Hubert Pauget s’est
inspiré des tableaux de ce maître pour ses clairs obscurs, sa palette
automnale et ses silhouettes de dos.
L’illustrateur s’est montré soucieux de faire apparaître l’ambiance
verlainienne ressentie en conciliant l’idée des fêtes galantes masquées et
costumées du XVIIIème siècle, l’esprit des fêtes galantes à la Watteau avec
la présence des silhouettes wattesques, et l’atmosphère de la mélodie
mélancolique et sombre à la Verlaine. Avec ses silhouettes non identifiables
entre l’ombre et le spectre, Hubert Pauget respecte la part de mystère de ce
poème qui dissimule l’identité des personnages qui se livrent à cette
mascarade amoureuse. Il retrouve chez Watteau comme Verlaine le fera
lui-même dans ses dessins, la saisie d’attitudes fugitives. Avec ces figures
de dos à peine perceptibles, on entre dans l’œuvre d’art comme l’on pénètre
le vrai sens du poème qui n’est pas la fête mais la déconvenue amoureuse
dans un crépuscule qui s’enfonce vers le désespoir.
En effet,
Verlaine se plaisait à griffonner à la plume, au crayon des croquis et des
autoportraits sur des bouts de papier, des manuscrits, des lettres
personnelles. Ces fugitifs dessins n’étaient pas destinés à être des œuvres
plastiques en soi mais plus authentiquement effusions d’émotions, visions
d’une personnalité à travers les traits caractéristiques de son caractère,
de son physique, de son comportement. Souvent des titres ou des annotations
complétaient la spontanéité expressive des dessins que l’on ne cesse
d’admirer dans plusieurs célèbres caricatures de Rimbaud.
Ce sens de l’observation, Verlaine se l’attribue lui-même dans ses
Confessions :
« Les yeux
surtout chez moi furent précoces : je fixais tout, rien ne m’échappait des
aspects, j’étais sans cesse en chasse de formes, de couleurs, d’ombres […]
».
« Qui sait ?
j’eusse pu être un grand peintre en place de ce poète-ci. » (1ère partie, 3)
Si Verlaine
n’était pas un amateur d’art à la manière d’un Mallarmé à fréquenter les
salons parisiens et à lier des amitiés avec des peintres (Manet, Renoir,
Degas, Whistler, Gauguin…), le poète possédait néanmoins en plus de son
talent de dessinateur caricaturiste, quelques œuvres d’art de grands
peintres et notamment une huile sur bois d’Adolphe Monticelli achetée chez
un brocanteur.
Verlaine a d’ailleurs exprimé le regret de ne pas avoir rencontré le
peintre :
« pour lui
demander de me prêter ses yeux et me raconter ses rêves.»
Monticelli peint
avec des empâtements de couleurs et de lumières. Au XXème siècle, Van Gogh
exprimera à son égard sa reconnaissance : « Je dois tout à Monticelli qui
m'a appris le chromatisme des couleurs. ». Ce coloriste des paysages
du Sud, des émotions et des états d’âme a une modernité dans sa touche et
une puissance dans sa palette qui n’est pas éloignée des paysages du nord,
des émotions et des états d’âme du poète Verlaine, dans la musicalité et la
force suggestive de ses vers. La manière de peindre d’Hubert Pauget avec des
« formes », des « couleurs », des « ombres », entre matières et lumières,
semble pouvoir tout à fait correspondre aux penchants de Verlaine dans l’art
pictural. Dans ces illustrations verlainiennes, l’« indécis » et le
« précis », ainsi que la « nuance » réclamée et revendiquée par Verlaine en
poésie, sont clairement visibles. Pour Verlaine comme pour Watteau ou
Monticelli, il y a le même intérêt pour le mélange entre le réel et
l’imaginaire, l’ombre et la lumière, l’imprécision des contours. Il n’y a
rien d’étonnant alors à ce que ces illustrations empreintent à la fois au
Réalisme et au Romantisme de l’époque, à la modernité de l’Impressionnisme
apprécié par Verlaine et livre dans l’Abstraction chère au peintre quelque
chose de vague, de flou et « soluble dans l’air ».
**
La palette
d’Hubert Pauget a toujours été très en couleurs. C’est au début des années
1990 qu’il est devenu peintre abstrait. En parallèle avec un travail de
sculpteur, sa peinture s’est redéfinie au début des années 2000 entre
figuration et abstraction.
Précisément dans les
Fêtes galantes, Hubert Pauget perçoit une palette colorée qui lui
convient. Il y a des couleurs en demi-teinte, des couleurs atténuées,
voilées comme dans Mandoline :
« d’une lune rose et grise ». Mais aussi des couleurs éclatantes et intenses
qui contrastent, par exemple dans Cortège : « Tandis qu’un négrillon
tout rouge » ou dans Fantoches : « Gesticulent noirs sous la lune » ;
Les Coquillages : « L’un a le pourpre de nos âmes » ;
Lettre : « Dont j’eusse aimé l’œil noir si le tien n’était bleu » :
L’Amour par terre : « S’amuse au papillon de pourpre et d’or qui
vole » ; En Sourdine : « Et quand, solennel, le soir / Des
chênes noirs tombera » ; Colloque sentimental : « Qu’il était bleu,
le ciel, et grand, l’espoir ! ». Verlaine suggère également des couleurs par
analogie des mots comme avec le costume fou d’Arlequin et sa troupe bariolée
de personnages. Nous trouvons aussi des ombres colorées comme chez les
impressionnistes : A la promenade : « l’ombre des bas tilleuls de
l’avenue / nous parvient bleue et mourante à dessein » ; Mandoline :
« et leurs molles ombres bleues »…
Les Fêtes
galantes de Verlaine, légères, amusantes, libertines nous plongent dans
l’ironie des illusions, les désirs sans nombre de l’imagination et la
douleur ressentie d’un amour sans avenir. Verlaine met en vers la fête et le
désespoir, la foule et la solitude, la folie des costumes bariolés et la
pureté de la blancheur du corps féminin, la femme tigresse et la femme
aimée… En chanson, en musique, en danse, au milieu des pirouettes, des
gesticulations, des rires, … c’est le chant de désespoir du rossignol qu’il
faut entendre et qui n’est pas sans rappeler celui des Paysages tristes
des Poèmes saturniens. Mais ici paradoxalement le
violet, couleur du deuil, n’est pas. Verlaine est réticent à évoquer
clairement sa cousine Elisa Moncomble, cette femme idéalisée et décédée
brutalement en 1867. Ces fêtes dissimulent la réalité, les masques cachent
l’identité des deux amoureux, les obscénités camouflent l’amour pur.
Verlaine s’autorise des rêveries grivoises dans le contexte de la société
démodée des Fêtes galantes comme pour mettre un terme à son désespoir et à
ses regrets avec Elisa, « l’oiseau qui fut » son « Premier Amour ».
Cet amour endeuillé ici n’est plus « Regrets » de l’ « Absente » mais
cruellement et éternellement impossible avec la jeune fille à la « voix d’or
vivant » : « leur yeux sont morts et leurs lèvres molles ».
Il appartient au passé, comme le genre des Fêtes galantes et les manières
des courtisans. Et pourtant rien de plus intemporels que l’amour, le désir,
le dépit, la souffrance amoureuse et la mort.
*****
Les tableaux et les sculptures
Les illustrations
peintes sont travaillées à l’aide de couteaux et spatules. Hubert Pauget
étale les couleurs à la manière d’un sculpteur. L’épaisseur perceptible de
la pâte confère relief et lumières à ces toiles recouvertes d’impressions
sensibles. Dans ce travail figuratif et abstrait, très coloré, l’on
distingue des silhouettes de dos dans des paysages de promenade. Dans six
peintures, les couleurs habillent des personnages à la Watteau : Sur
l’herbe, L’allée, Dans la grotte, Le faune, En
sourdine, Colloque sentimental. Dans quatre peintures, la
présence de personnages est à peine visible par des formes de couleur : A
la promenade, Les ingénus, Les coquillages, Colombine.
Les états d’âme, les sentiments comme l’amour, le rêve, l’érotisme, le
désespoir, la mort sont tout en touches de couleurs. Que ce soit dans les
toiles ou les verres de synthèse, la palette colorée de l’artiste irradie la
toile du tumulte de ces sentiments. Dans ces oeuvres où figuration et
abstraction flirtent intimement, discrètement, ce qui ne se voit pas se
ressent. C’est là le talent et l’avantage de l’artiste, l’opportunité et le
privilège du spectateur. Et l’artiste a cherché et choisi de créer un
univers pictural éloigné d’une représentation dessinée, intelligible, lisse,
fade… opposé à l’esprit de la plume verlainienne, qui use des
contradictions, du flou, du vague.
A
travers ces Fêtes galantes, entre
les personnages aux costumes chamarrés de la commedia dell'arte (Pierrot,
Colombine et Arlequin, Scaramouche et Pulcinella…) et les
personnages pastoraux (Tircis et Aminte, Clitandre et Damis…), nous
sommes emmenés dans des parcs et jardins,
à des heures entre le jour et la nuit
et parmi des sentiments ambigus et saturniens.
Pourtant dans le
paysage de Clair de lune, les déguisements, la danse, le chant, la
lune ne suffisent pas aux amoureux pour avoir « l’air de croire à leur
bonheur ». Le clair de lune est « triste et beau », il y a le rêve, les
oiseaux, les sanglots, l’extase, et les jets d’eau. Les couleurs vives de ce
premier tableau
symbolisent l’ « amour vainqueur » et la gaieté. Les couleurs claires : la
lumière jaune et douce d’une soirée d’automne. Le noir qui s’avance en
présage : la tristesse déjà présente. Avec Mandoline, l’atmosphère
morose se poursuit malgré l’« élégance » vestimentaire joyeuse des
personnages de théâtre. Ce ne sont plus seulement des chansons en « mode
mineur » mais également des « propos fades » et une musique qui s’essouffle
avec cette mandoline qui « jase ». Une lune rose et grise et de la brise
succèdent au calme clair de lune. Le tableau Mandoline fait ressortir
des instants sans joie et les contours noirs de la mandoline symbolisent un
son mélodieux contrarié. Le poème Colloque sentimental clôt ces fêtes
dans un « vieux parc solitaire et glacé » et anéantit tout espoir de ces
deux âmes seules avec un bonheur et des sentiments fantasmés. Dans ce
tableau, il y a le bleu des illusions et des souvenirs heureux et le noir
d’un chagrin solitaire et inoubliable.
« Qu'il était bleu, le ciel, et grand l'espoir! / L'espoir a fui, vaincu,
vers le ciel noir ».
Dans les
peintures et les sculptures, les couleurs utilisées expriment,
symbolisent et nuancent :
Le rouge :
l’amour, le cœur, les roses, les arbousiers… Le bleu : les yeux
d’Elisa, le rêve, l’eau, le ciel… L’orange : le feuillage,
l’automne… Le jaune : le clair de lune, la lumière… Le vert :
la mousse, l’herbe, le printemps, l’été, … Le blanc : la lune, les
nuages, des parties de corps (nuque, gorge…), la dentelle, les gants, les
claires-voies, l’hiver, … Le noir : l’ombre, la mort, le désespoir,
les arbres… la noirceur de l’âme Le gris : la mélancolie… Le rose :
la sensualité…
Parmi ces
couleurs, on distingue : Le parc, l’allée, le bassin, la grotte, les éclairs
de nuque blanche, le bateau, le faune, la lune rose et grise, les flammes
qui font resplendir les ténèbres, le piédestal dans le parc, les chênes
noirs et le gazon roux, les formes solitaires... Et aussi des formes
symboliques, ainsi dans Clair de lune, cette belle tache rouge de
l’« amour vainqueur » en forme de cœur ;
dans Pantomime, le masque rouge de carnaval pour Colombine, dans
Sur l’herbe, la « noirceur » de l’abbé en forme de bouc ; dans
Cortège, le napperon en dentelle pour la main gantée, dans Les
Coquillages, une silhouette de femme et son sexe en forme de coquillage comme
objet du trouble ; dans Cythère, de larges traits blancs pour les
claires-voies, dans le Faune, une imposante forme noire pour le
faune, dans Mandoline, les contours en noir de la mandoline ; dans
A Clymène, la croix noire exprimant le « Ainsi soit-il ! », ou encore
dans Colombine, les jupes relevées avec des touches d’un rose
grivois…
Les sculptures
murales sont un assemblage de plaques de verres de synthèse, incolores ou
colorées, chauffées pour prendre forme et se lier les unes aux autres.
L’artiste joue sur l’opacité, la transparence et le translucide de ces
matériaux. Ces sept sculptures disséminées parmi l’ensemble des
illustrations picturales peuvent apparaître étonnantes et insolites ou
fantasques.
Dans cette composition d’ensemble, cette intégration se tient et se fonde
parfaitement dans les tons, la technique et la substance des peintures.
Pourtant, le mélange de ces deux arts pour illustrer un seul poème est
intriguant pour le regard. Eléments quelque peu perturbateurs, ces
sculptures murales nous offrent quelque chose de similaire à la vue
angélique d’Elisa dans A Clymène :
« Vision qui dérange / Et trouble
l'horizon / De ma raison ». Loin de perturber la
compréhension du thème des Fêtes galantes, elles nous plongent au
cœur même des états d’âme du poète. Dans la conférence à Anvers du 1er mars
1893,
Verlaine évoque ses poèmes : « non fades », une pointe de « mélancolie
quelque peu féroce », une « aigreur veloutée », une « câline méchanceté ».
La dualité des sentiments, les doubles sens, les structures binaires chez
Verlaine ont du conduire l’artiste peintre sculpteur à introduire non
seulement la confusion avec le mélange des couleurs, la proximité du clair
et de sombre, de la lumière et de l’obscurité mais également avec une
créativité à l’aide de deux arts différents. Peinture et sculpture lui
permettent de saisir l’essence de ces Fêtes galantes entre le rêve et
la réalité, entre l’amour pur et les désirs licencieux, entre le comique et
le tragique, entre la poésie et le théâtre, entre une société révolue et une
époque à venir... Le travail en verre de synthèse est une possibilité
d’aller plus loin dans la couleur, la lumière. Avec moins de forme encore,
la couleur l’emporte sur le dessin. L’interprétation est encore plus
contemporaine avec une lecture plus émotive, un visuel plus d’intériorité.
Les sept
sculptures de ces Fêtes galantes ne sont que couleurs et
transparences. A travers ce poème, Verlaine ouvre son cœur, livre son
chagrin d’amour dans une confession voilée. La femme n’a pas d’identité
nominale et leur relation laisse planer le mystère d’un amour partagé ou
irréel, entre souvenir, désir ou amertume. La pureté des verres de synthèse
permet de les traverser du regard et de laisser passer la lumière. Seule
l’opacité du noir et du blanc en premier plan n’offre pas cette possibilité.
Ces deux couleurs opaques sont comme des ombres qui obscurcissent la vie, le
temps, l’Amour… Quelques petits amas de vert, de bleu et de rouge sont
disséminés généralement en second plan entre les deux plaques translucides
incolores. En plus de donner de l’épaisseur à ces réalisations murales, ces
petites masses non homogènes avec des traces marron, arborent l’idée que
l’espérance, la sève de la vie, le feu de l’amour restent toujours obscurs.
Ces agrégats sont des aléas, des contingences qui s’introduisent inopinément
ou successivement dans les illusions, si transparentes, si claires, si
lumineuses. Ils symbolisent le gris et les nuances de Verlaine, poète
maudit !
*****
Entre poème et
musique, les Fêtes galantes de Verlaine mises en matière par la
peinture et la sculpture donnent forme à des sentiments immatériels et
intemporels. Dans ces illustrations faites de formes, de couleurs et de
force résonnent une triste gaieté, un bonheur irréel, une sensualité
mélancolique, des plaisirs artificiels, un amour que Verlaine souhaite
oublier, comme tous les amants malheureux. Sa poésie moderne a su convaincre
et inspirer un artiste au style contemporain. Les teintes des poèmes de
Verlaine, pas toujours en tons francs et vifs ne peuvent cacher la violence
de sa plume dans nombre de ses poèmes, la brutalité du personnage et la
tragédie de sa vie. Verlaine n’est pas une personnalité fade et définie. La
confusion des sentiments, l’irrationalité, la déraison, l’excès constituent
son vécu. Sa poésie est autre chose qu’une mélancolie romantique. Les œuvres
crépusculaires des Fêtes galantes que nous présentent Hubert Pauget
sont ombres et lumières, couleurs sombres et illuminées, formes symboliques
et sensorielles. Elles nous font percevoir la complexité existentielle,
plutôt abstraite, de l’homme-poète Verlaine.
Christelle
Pauget, novembre 2009
Christelle PAUGET
(fille de l'artiste),
Novembre 2009
Copyright © Christelle Pauget
2010
▲
.......