Au pays de mon père on voit des
bois sans nombre,
Là des loups font parfois luire
leurs yeux dans l'ombre
Et la myrtile est noire au pied
du chêne vert.
Noire de profondeur, sur l'étang
découvert,
Sous la bise soufflant
balsamiquement dure
L'eau saute à petits flots,
minéralement pure.
Les villages de pierre
ardoisière aux toits bleus
Ont leur pacage et leur
labourage autour d'eux.
Du bétail non pareil s'y fait
des chairs friandes,
Sauvagement un peu parmi les
hautes viandes ;
Et l'habitant, grâce à la Foi
sauve, est heureux.
Au pays de ma mère est un sol
plantureux
Où l'homme, doux et fort, vit
prince de la plaine
De patients travaux pour quelles
moissons pleine,
Avec, rares, des bouquets
d'arbres et de l'eau.
L'industrie a sali par places ce
tableau
De paix patriarcale et de
campagne dense
Et compromis jusqu'à des points
cette abondance,
Mais l'ensemble est resté, somme
toute, très bien.
Le peuple est froid et chaud,
non sans un fond chrétien.
Belle, très au dessus de toute
la contrée,
Se dresse éperdument la tour
démesurée
D'un gothique beffroi sur le
ciel balancé
Attestant les devoirs et les
droits du passé,
Et tout en haut de lui le grand
lion de Flandre
Hurle en cris d'or dans l'air
moderne : « Osez les prendre ! »
Le pays de mon rêve est un site
charmant
Qui tient des deux aspects
décrits précédemment :
Quelque âpreté se mêle aux
saveurs géorgiques.
L'amour et le loisir même sont
énergiques,
Calmes, équilibrés sur l'ordre
et le devoir.
La vierge en général s'abstient
du nonchaloir
Dangereux aux vertus, et l'amant
qui la presse
A coutume avant tout d'éviter la
paresse
Où le vice puisa ses larmes en
tout temps,
Si bien qu'en mon pays tous les
cœurs sont contents,
Sont, ou plutôt étaient.
Au cœur ou dans la tête,
La tempête est venue. Est-ce
bien la tempête ?
Et tous cas, il y eut de la
grêle et du feu,
Et la misère, et comme un
abandon de Dieu.
La mortalité fut sur les mères
taries
Des troupeaux rebutés par
l'herbe des prairies
Et les jeunes sont morts après
avoir langui
D'un sort qu'on croyait parti
d'où, jeté par qui ?
Dans les champs ravagés la terre
diluée
Comme une pire mer flotte en une
buée.
Des arbres détrempés les oiseaux
sont partis,
Laissant leurs nids et des
squelettes de petits.
D'amours de fiancés, d'union des
ménages
Il n'est plus question dans mes
tristes parages.
Mais la croix des clochers
doucement toujours luit,
Dans les cages plus d'une cloche
encor bruit,
Et, béni signal d'espérance et
de refuge,
L'arc-en-ciel apparaît comme
après le déluge. |