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.... Les illustrations des Fêtes galantes

de Verlaine... Hubert PAUGET       

 

 

Christelle Pauget

Texte et photographies à télécharger

 

Hubert PAUGET, Arthur RIMBAUD, Paul VERLAINE et les Ardennes

Artiste peintre-sculpteur et illustrateur de poèmes d'Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine, Hubert Pauget est un artiste d’origine champenoise et d’adoption ardennaise. Ses illustrations sur papier d’Une saison en enfer en 1974 et du Bateau ivre en 1982 ont été exposées dans le musée du poète de Charleville-Mézières. Ses peintures abstraites de 1991 inspirées des poèmes Le loup criait sous les feuilles, L'Eternité, Ce qu'on dit au poète à propos des fleurs ont été accueillies en 2007 dans le Musée Verlaine de Juniville. En 2008, Hubert Pauget a exposé 22 illustrations des Fêtes galantes à l’Archéoscope de Bouillon en Belgique.

Lors de son exposition Rimbaud chez Verlaine, Hubert Pauget a accroché les poèmes illustrés de Rimbaud dans un lieu consacré à Verlaine. Dans cette ancienne Auberge du Lion d’Or de Juniville, le poète buvait son absinthe et a composé certains de ses poèmes. Le peintre a ainsi accompli une démarche symbolique et artistique qui lui tenait à cœur : réunir ces deux génies des mots aux destins humain et poétique indissociables. Dans cette continuité, Hubert Pauget s’est intéressé aux Fêtes galantes de Verlaine. Les 15 peintures et les 7 sculptures murales ont investi un autre lieu symbolique : Bouillon, dans les Ardennes belges, où Verlaine a passé une partie de son enfance. La pérégrination emblématique se poursuivra en 2010, au Château de Pange dans la région messine de Verlaine, à l’initiative de et avec l’association Les Amis de Verlaine[1].

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Si Rimbaud est « l’homme aux semelles de vent »[2], Verlaine est « le fils de l’Ardenne et de l’ardoise »[3]. Rimbaud est l’enfant chéri des Ardennais. Verlaine, un personnage décrié et ce malgré un vécu et une production écrite sur le sol ardennais et surtout une affection réelle pour les Ardennes : « Il y a en France des contrées aussi belles que les Ardennes, il n’y en a peut-être pas de plus belles […] »[4]. Le poète messin a aimé les paysages de cette région et n’a jamais failli dans son admiration pour Arthur Rimbaud et sa poésie, à propos de laquelle il a rédigé tant d’éloges à travers différents recueils, poèmes et correspondances. Le « prince des poètes »[5] mérite-t-il dans les petites villes ardennaises sa piteuse réputation focalisée sur un jugement superficiel de l’homme - un être pervers, alcoolique, un vagabond - au détriment de son génie poétique ? Mérite-t-il les panneaux touristiques noircis sur la route Rimbaud-Verlaine dans les Ardennes ? Un musée à Juniville privé des moyens financiers pour honorer convenablement la mémoire du poète ? En illustrant avec modernité la poésie de Verlaine dans notre modernité, Hubert Pauget lui fait une place dans son œuvre aux côtés de son compagnon poète.

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Avec un siècle d’écart, Hubert Pauget partage avec Paul Verlaine l’adoption de cœur pour la terre ardennaise. Ce lien affectif de résidence, loin de n’avoir été qu’une curiosité anodine à l’égard du poète, a participé à tisser un intérêt spirituel et à stimuler son inspiration artistique. Avec les Fêtes galantes de Verlaine, Hubert Pauget a trouvé la puissance des phrases mélodieuses et la force des images dont son talent artistique se nourrit. Si les pairs contemporains du poète ont su reconnaître en lui un avant-gardiste, tel Mallarmé qui a pu le décrire en « étonnant homme sensitif » dont l’ « art agile et certain de guitariste s’impose comme la trouvaille poétique récente »[6], si Verlaine a ce génie qui s’inscrit dans  l’avenir, qui continue à inspirer des réflexions, des sentiments, des émotions, tout hommage passe nécessairement par le fait de le recevoir avec contemporanéité, sans enfermement stérile dans une époque révolue. Les œuvres peintes ou sculptées d’Hubert Pauget témoignent à travers sa sensibilité d’artiste, de la qualité et de la pérennité de la langue poétique de Verlaine qui peut se lire et se ressentir intemporellement. Qui pourrait s’empêcher de se demander aujourd’hui ce qu’un esprit novateur comme le sien apprécierait en contemplant le monde artistique contemporain ?

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Le choix des Fêtes Galantes, les couleurs, l’ambiance

Comme il l’avait fait avant d’illustrer les poèmes choisis d’Arthur Rimbaud, le peintre Hubert Pauget s’est imprégné de lectures et a alterné recherches et créations pour réaliser, au terme de deux années de réflexion, 22 illustrations composées de 15 peintures en acrylique et 7 sculptures murales en verre de synthèse, verre acrylique et matière plastique. Dans ce travail, le peintre ne devient pas verlainien pas plus qu’il n’a été rimbaldien. Sa lecture n’est pas celle d’un spécialiste des lettres. Il n’analyse pas minutieusement de mot en mot chaque phrase, la grammaire ou les règles de l’art poétique. S’il fait attentivement connaissance avec l’homme, son aspiration provient de l’harmonie entre la tonalité colorée ou musicale de sa lecture et sa structuration créatrice. Les vers doivent satisfaire aux exigences de ses gestes d’artiste. Il doit naître pendant ces mois de proximité intellectuelle avec le poète, à force d’écoute, une intuition d’un possible dialogue. De cette entente soupçonnée s’extrait une œuvre inspirée qui ne se juxtapose pas à un texte mais le fait vivre dans notre modernité et peut-être même amène à le découvrir autrement.

En invitant Rimbaud dans le Musée Verlaine, Hubert Pauget a ainsi créé une sorte de parallèle avec la rencontre entre les deux hommes-poètes à Paris. Celle-ci a eu lieu en septembre 1871 après qu’Arthur Rimbaud eût écrit par deux fois à Verlaine. Le jeune poète avait acheté et lu les Fêtes galantes aussitôt leur parution[7] et reconnu en mai 1871 en Paul Verlaine, un « voyant », « un vrai poète »[8]. Sur l’invitation de Verlaine, Rimbaud s’est rendu chez le poète avec le Bateau ivre rédigé en août 1871. Et à Juniville, Hubert Pauget a offert la possibilité à Rimbaud d’amener d’autres poèmes dans ce lieu dédié à Verlaine.

Le choix des Fêtes galantes à fin d’illustration parmi toute l’œuvre du poète est symbolique. En illustrant ce poème qui vraisemblablement a motivé Rimbaud à écrire et rencontrer Verlaine, outre le fait qu’il rassemble des couleurs et des nuances qui sont des éléments fondamentaux dans le travail du peintre, c’est une manière de sceller le lien indéfectible des deux poètes. C’est également un rapprochement, entre les textes des Fêtes galantes et du  Bateau ivre et un thème similaire, qui a conforté Hubert Pauget dans son projet : la thématique de l’échec. En effet, Rimbaud évoque dans ce poème « les rousseurs amères de l’amour ! ».

« Les Aubes sont navrantes.

 Toute lune est atroce et tout soleil amer :

 L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.

 O que ma quille éclate ! O que j’aille à la mer ! ».

 

Alors que Rimbaud, « bateau perdu », « bateau frêle », se livre à une introspection en solitaire de ses désillusions « dans le Poème / De la Mer.. », Verlaine cache sa « détresse », masqué derrière un « je » impersonnel, au milieu de personnages costumés dans un paysage de « Fêtes galantes » d’où l’« extase » s’efface pour révéler « un avenir solitaire et fatal » dans un « vieux parc solitaire et glacé ». Ici on peut presque déjà entendre résonner comme image en double sens, ce vers de Mallarmé qui sera composé en hommage posthume : « Verlaine ? Il est caché parmi l'herbe Verlaine. »[9]

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Certes Rimbaud est plus coloriste que Verlaine. Ses poèmes sont des tableaux colorés aux tons vifs rarement nuancés par des épithètes, même s’il existe des jeux d’ombre et de lumière et des impressions colorées par l’emploi des adjectifs de couleurs pour autre chose que des objets. Il utilise fréquemment des noms de couleur, une tonalité intense, les correspondances chromatiques célèbres des voyelles et des associations insolites entre les mots et les couleurs… Chez Verlaine, les couleurs sont assez peu nominativement citées. Pour beaucoup de commentateurs, il est poète de la nuance, aux tons blêmes et gris, opposée à la couleur. Cette représentation est également sous-tendue de manière importante par les artistes qui depuis le XIXème siècle ont représenté sa poésie par des illustrations des Fêtes galantes[10] et autres poèmes, en noir et blanc, dans les gris colorés, aux tons pastels, essentiellement des gravures, des eaux-fortes, des lithographies..., imprimées dans les éditions originales… Pour Verlaine comme pour Rimbaud, l’iconographie est très abondante mais les illustrations inspirées des poèmes, peintes ou dessinées de manière contemporaine, sont rares[11]. Et avec ses illustrations rimbaldiennes réalisées sur près d’une vingtaine d’années, Hubert Pauget, à l’instar par exemple de Zao Wou Ki[12], fait parti de ces peintres qui ont osé interpréter un poète qui voulait inventer « l’avenir de la poésie » et auquel Verlaine attribuait  du « génie »[13].

Il faut beaucoup d’audace et d’impétuosité pour s’attaquer à des poètes disparus. Beaucoup de peintres qui côtoient artistiquement les hommes de mots le font dans la rencontre, l’amitié ou la connivence. Si la tâche est simplifiée par une familiarité de l’homme et de l’œuvre, elle n’en est que plus lourde par le regard immédiat que porte l’inspirateur. Le poète René Char par exemple a collaboré avec des peintres tels que Matisse, Braque, De Staël, Miro, Picasso, Giacometti, Vieira da Silva… Dans cette relation entre artistes, chacun y trouve son compte. Le peintre y voit une source d’inspiration, le poète une plus value dans la publication de son texte enrichi d’illustrations de peintres célèbres. Quelle que soit la proximité réelle avec le texte, l’association est acceptée ou ne se fait pas. Ici, Rimbaud ou Verlaine ne peuvent dire mot. Ce n’en est que pire encore. Avec facilité chacun s’octroie le droit de connaître intimement et spirituellement ceux qui ne peuvent opposer une autre réalité contradictoire, ou du moins chacun peut facilement se laisser porter vers sa vérité et s’illusionner. C’est le spectateur qui aura donc le dernier mot et c’est à l’artiste seul de faire face avec son interprétation artistique.

 

Verlaine écrit en 1881 dans Art poétique du recueil Jadis et naguère des vers très célèbres comme « De la musique avant toute chose », « Plus vague et plus soluble dans l'air », « Où l’Indécis au Précis se joint », « Car nous voulons la Nuance encore, Pas la Couleur, rien que la nuance ! ». Il faut replacer ses propos dans le contexte de la naissance de l’Impressionnisme. Si Verlaine nomme peu les couleurs et recherche la musicalité du langage poétique, cela n’autorise pas à conclure radicalement au goût verlainien pour le pastel et la grisaille. Chez Verlaine, le vers l’emporte sur le mot, la nuance sur la couleur. Mais les mots et les couleurs sont là… La nuit est attirante pour Verlaine[14]. L’obscurité nocturne éclairée par la lune particulièrement évoquée dans ces Fêtes galantes est un moment privilégié pour la mise en valeur des reflets colorés, pour distinguer entre les ombres noires, des couleurs illuminées ou sombres. Verlaine ne fait qu’effleurer des couleurs qui sont là présentes dans le paysage. Sa poésie est sonorité, mélodie. Verlaine ne crée pas une peinture mais une musique : il s’adresse à l’oreille, pas à l’œil. C’est au peintre qu’il revient de mettre les poèmes en couleurs, de savoir les voir et surtout de les peindre en nuances, avec des camaïeux, des demi-couleurs... Il y a quelque chose de subtil à laisser l’imagination se promener et à laisser les couleurs apparaître au fil des vers. Il devient dès lors peu approprié après l’impressionnisme de faire des illustrations strictement figurées et non colorées de la poésie verlainienne. Si les Fêtes galantes apparaissent encore aujourd’hui comme un chef d’œuvre, ces fêtes grivoises, drôles[15], d’un style poétique différent, musical, moderne, ne semblent pas un éloge de la société de l’époque mais un pastiche. Il paraît légitime qu’un artiste puisse les aborder non seulement avec une palette intense mais également de manière contemporaine.

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Des scènes de fêtes galantes ont été peintes par Watteau. Verlaine a vraisemblablement pu admirer certaines de ses œuvres et ses clairs de lune. Hubert Pauget s’est inspiré des tableaux de ce maître pour ses clairs obscurs, sa palette automnale et ses silhouettes de dos[16]. L’illustrateur s’est montré soucieux de faire apparaître l’ambiance verlainienne ressentie en conciliant l’idée des fêtes galantes masquées et costumées du XVIIIème siècle, l’esprit des fêtes galantes à la Watteau avec la présence des silhouettes wattesques, et l’atmosphère de la mélodie mélancolique et sombre à la Verlaine. Avec ses silhouettes non identifiables entre l’ombre et le spectre, Hubert Pauget respecte la part de mystère de ce poème qui dissimule l’identité des personnages qui se livrent à cette mascarade amoureuse. Il retrouve chez Watteau comme Verlaine le fera lui-même dans ses dessins, la saisie d’attitudes fugitives. Avec ces figures de dos à peine perceptibles, on entre dans l’œuvre d’art comme l’on pénètre le vrai sens du poème qui n’est pas la fête mais la déconvenue amoureuse dans un crépuscule qui s’enfonce vers le désespoir.

 

En effet, Verlaine se plaisait à griffonner à la plume, au crayon des croquis et des autoportraits sur des bouts de papier, des manuscrits, des lettres personnelles. Ces fugitifs dessins n’étaient pas destinés à être des œuvres plastiques en soi mais plus authentiquement effusions d’émotions, visions d’une personnalité à travers les traits caractéristiques de son caractère,  de son physique, de son comportement. Souvent des titres ou des annotations complétaient la spontanéité expressive des dessins que l’on ne cesse d’admirer dans plusieurs célèbres caricatures de Rimbaud[17]. Ce sens de l’observation, Verlaine se l’attribue lui-même dans ses Confessions :

 

« Les yeux surtout chez moi furent précoces : je fixais tout, rien ne m’échappait des aspects, j’étais sans cesse en chasse de formes, de couleurs, d’ombres […] ».

« Qui sait ? j’eusse pu être un grand peintre en place de ce poète-ci. » (1ère partie, 3)

 

Si Verlaine n’était pas un amateur d’art à la manière d’un Mallarmé à fréquenter les salons parisiens et à lier des amitiés avec des peintres (Manet, Renoir, Degas, Whistler, Gauguin…), le poète possédait néanmoins en plus de son talent de dessinateur caricaturiste, quelques œuvres d’art de grands peintres et notamment une huile sur bois d’Adolphe Monticelli achetée chez un brocanteur[18]. Verlaine a d’ailleurs exprimé le regret de ne pas avoir rencontré le peintre :

 

« pour lui demander de me prêter ses yeux et me raconter ses rêves.»

Monticelli peint avec des empâtements de couleurs et de lumières. Au XXème siècle, Van Gogh exprimera à son égard sa reconnaissance : « Je dois tout à Monticelli qui m'a appris le chromatisme des couleurs. ». Ce coloriste des paysages du Sud, des émotions et des états d’âme a une modernité dans sa touche et une puissance dans sa palette qui n’est pas éloignée des paysages du nord, des émotions et des états d’âme du poète Verlaine, dans la musicalité et la force suggestive de ses vers. La manière de peindre d’Hubert Pauget avec des « formes », des « couleurs », des « ombres », entre matières et lumières, semble pouvoir tout à fait correspondre aux penchants de Verlaine dans l’art pictural. Dans ces illustrations verlainiennes, l’« indécis » et le « précis », ainsi que la « nuance » réclamée et revendiquée par Verlaine en poésie, sont clairement visibles. Pour Verlaine comme pour Watteau ou Monticelli, il y a le même intérêt pour le mélange entre le réel et l’imaginaire, l’ombre et la lumière, l’imprécision des contours. Il n’y a rien d’étonnant alors à ce que ces illustrations empreintent à la fois au Réalisme et au Romantisme de l’époque, à la modernité de l’Impressionnisme apprécié par Verlaine et livre dans l’Abstraction chère au peintre quelque chose de vague, de flou et « soluble dans l’air ». 

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La palette d’Hubert Pauget a toujours été très en couleurs. C’est au début des années 1990 qu’il est devenu peintre abstrait. En parallèle avec un travail de sculpteur, sa peinture s’est redéfinie au début des années 2000 entre figuration et abstraction. Précisément dans les Fêtes galantes, Hubert Pauget perçoit une palette colorée qui lui convient. Il y a des couleurs en demi-teinte, des couleurs atténuées, voilées comme dans Mandoline : « d’une lune rose et grise ». Mais aussi des couleurs éclatantes et intenses qui contrastent, par exemple dans Cortège : « Tandis qu’un négrillon tout rouge » ou dans Fantoches : « Gesticulent noirs sous la lune » ; Les Coquillages : « L’un a le pourpre de nos âmes » ; Lettre : « Dont j’eusse aimé l’œil noir si le tien n’était bleu » :  L’Amour par terre : « S’amuse au papillon de pourpre et d’or qui vole » ; En Sourdine : « Et quand, solennel, le soir / Des chênes noirs tombera » ; Colloque sentimental : « Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir ! ». Verlaine suggère également des couleurs par analogie des mots comme avec le costume fou d’Arlequin et sa troupe bariolée de personnages. Nous trouvons aussi des ombres colorées comme chez les impressionnistes : A la promenade : « l’ombre des bas tilleuls de l’avenue / nous parvient bleue et mourante à dessein » ; Mandoline : « et leurs molles ombres bleues »…

Les Fêtes galantes de Verlaine, légères, amusantes, libertines nous plongent dans l’ironie des illusions, les désirs sans nombre de l’imagination et la douleur ressentie d’un amour sans avenir. Verlaine met en vers la fête et le désespoir, la foule et la solitude, la folie des costumes bariolés et la pureté de la blancheur du corps féminin, la femme tigresse et la femme aimée… En chanson, en musique, en danse, au milieu des pirouettes, des gesticulations, des rires, … c’est le chant de désespoir du rossignol qu’il faut entendre et qui n’est pas sans rappeler celui des Paysages tristes des Poèmes saturniens. Mais ici paradoxalement le violet, couleur du deuil, n’est pas. Verlaine est réticent à évoquer clairement sa cousine Elisa Moncomble, cette femme idéalisée et décédée brutalement en 1867. Ces fêtes dissimulent la réalité, les masques cachent l’identité des deux amoureux, les obscénités camouflent l’amour pur. Verlaine s’autorise des rêveries grivoises dans le contexte de la société démodée des Fêtes galantes comme pour mettre un terme à son désespoir et à ses regrets avec Elisa, « l’oiseau qui fut » son « Premier Amour »[19]. Cet amour endeuillé ici n’est plus « Regrets » de l’ « Absente » mais cruellement et éternellement impossible avec la jeune fille à la « voix d’or vivant » : « leur yeux sont morts et leurs lèvres molles »[20]. Il appartient au passé, comme le genre des Fêtes galantes et les manières des courtisans. Et pourtant rien de plus intemporels que l’amour, le désir, le dépit, la souffrance amoureuse et la mort.

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Les tableaux et les sculptures

Les illustrations peintes sont travaillées à l’aide de couteaux et spatules. Hubert Pauget étale les couleurs à la manière d’un sculpteur. L’épaisseur perceptible de la pâte confère relief et lumières à ces toiles recouvertes d’impressions sensibles. Dans ce travail figuratif et abstrait, très coloré, l’on distingue des silhouettes de dos dans des paysages de promenade. Dans six peintures, les couleurs habillent des personnages à la Watteau : Sur l’herbe, L’allée, Dans la grotte, Le faune, En sourdine, Colloque sentimental. Dans quatre peintures, la présence de personnages est à peine visible par des formes de couleur : A la promenade, Les ingénus, Les coquillages, Colombine. Les états d’âme, les sentiments comme l’amour, le rêve, l’érotisme, le désespoir, la mort sont tout en touches de couleurs. Que ce soit dans les toiles ou les verres de synthèse, la palette colorée de l’artiste irradie la toile du tumulte de ces sentiments. Dans ces oeuvres où figuration et abstraction flirtent intimement, discrètement, ce qui ne se voit pas se ressent. C’est là le talent et l’avantage de l’artiste, l’opportunité et le privilège du spectateur. Et l’artiste a cherché et choisi de créer un univers pictural éloigné d’une représentation dessinée, intelligible, lisse, fade… opposé à l’esprit de la plume verlainienne, qui use des contradictions, du flou, du vague.

A travers ces Fêtes galantes, entre les personnages aux costumes chamarrés de la commedia dell'arte (Pierrot, Colombine et  Arlequin, Scaramouche et Pulcinella) et les personnages pastoraux (Tircis et Aminte, Clitandre et Damis), nous sommes emmenés dans des parcs et jardins[21], à des heures entre le jour et la nuit[22] et parmi des sentiments ambigus et saturniens[23]. Pourtant dans le paysage de Clair de lune, les déguisements, la danse, le chant, la lune ne suffisent pas aux amoureux pour avoir « l’air de croire à leur bonheur ». Le clair de lune est « triste et beau », il y a le rêve, les oiseaux, les sanglots, l’extase, et les jets d’eau. Les couleurs vives de ce premier tableau[24] symbolisent l’ « amour vainqueur » et la gaieté. Les couleurs claires : la lumière jaune et douce d’une soirée d’automne. Le noir qui s’avance en présage : la tristesse déjà présente. Avec Mandoline, l’atmosphère morose se poursuit malgré l’« élégance » vestimentaire joyeuse des personnages de théâtre. Ce ne sont plus seulement des chansons en « mode mineur » mais également des « propos fades » et une musique qui s’essouffle avec cette mandoline qui « jase ». Une lune rose et grise et de la brise succèdent au calme clair de lune. Le tableau Mandoline fait ressortir des instants sans joie et les contours noirs de la mandoline symbolisent un son mélodieux contrarié. Le poème Colloque sentimental clôt ces fêtes dans un « vieux parc solitaire et glacé » et anéantit tout espoir de ces deux âmes seules avec un bonheur et des sentiments fantasmés. Dans ce tableau, il y a le bleu des illusions et des souvenirs heureux et le noir d’un chagrin solitaire et inoubliable. « Qu'il était bleu, le ciel, et grand l'espoir! / L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir ».

Dans les peintures et les sculptures, les couleurs utilisées expriment, symbolisent et nuancent :

Le rouge : l’amour, le cœur, les roses, les arbousiers… Le bleu : les yeux d’Elisa, le rêve, l’eau, le ciel… L’orange : le feuillage, l’automne… Le jaune : le clair de lune, la lumière… Le vert : la mousse, l’herbe, le printemps, l’été, … Le blanc : la lune, les nuages, des parties de corps (nuque, gorge…), la dentelle, les gants, les claires-voies, l’hiver, … Le noir : l’ombre, la mort, le désespoir, les arbres… la noirceur de l’âme  Le gris : la mélancolie… Le rose : la sensualité…

 

Parmi ces couleurs, on distingue : Le parc, l’allée, le bassin, la grotte, les éclairs de nuque blanche, le bateau, le faune, la lune rose et grise, les flammes qui font resplendir les ténèbres, le piédestal dans le parc, les chênes noirs et le gazon roux, les formes solitaires... Et aussi des formes symboliques, ainsi dans Clair de lune, cette belle tache rouge de l’« amour vainqueur » en forme de cœur[25] ; dans Pantomime, le masque rouge de carnaval pour Colombine, dans Sur l’herbe, la « noirceur » de l’abbé en forme de bouc ; dans Cortège, le napperon en dentelle pour la main gantée, dans Les Coquillages, une silhouette de femme et son sexe en forme de coquillage[26] comme objet du trouble ; dans Cythère, de larges traits blancs pour les claires-voies, dans le Faune, une imposante forme noire pour le faune, dans Mandoline, les contours en noir de la mandoline ; dans A Clymène, la croix noire exprimant le « Ainsi soit-il ! », ou encore dans Colombine, les jupes relevées avec des touches d’un rose grivois…

 

Les sculptures murales sont un assemblage de plaques de verres de synthèse, incolores ou colorées, chauffées pour prendre forme et se lier les unes aux autres. L’artiste joue sur l’opacité, la transparence et le translucide de ces matériaux. Ces sept sculptures disséminées parmi l’ensemble des illustrations picturales peuvent apparaître étonnantes et insolites ou fantasques[27]. Dans cette composition d’ensemble, cette intégration se tient et se fonde parfaitement dans les tons, la technique et la substance des peintures. Pourtant, le mélange de ces deux arts pour illustrer un seul poème est intriguant pour le regard. Eléments quelque peu perturbateurs, ces sculptures murales nous offrent quelque chose de similaire à la vue angélique d’Elisa dans A Clymène : « Vision qui dérange / Et trouble l'horizon / De ma raison ». Loin de perturber la compréhension du thème des Fêtes galantes, elles nous plongent au cœur même des états d’âme du poète. Dans la conférence à Anvers du 1er mars 1893[28], Verlaine évoque ses poèmes : « non fades », une pointe de « mélancolie quelque peu féroce », une « aigreur veloutée », une « câline méchanceté ». La dualité des sentiments, les doubles sens, les structures binaires chez Verlaine ont du conduire l’artiste peintre sculpteur à introduire non seulement la confusion avec le mélange des couleurs, la proximité du clair et de sombre, de la lumière et de l’obscurité mais également avec une créativité à l’aide de deux arts différents. Peinture et sculpture lui permettent de saisir l’essence de ces Fêtes galantes entre le rêve et la réalité, entre l’amour pur et les désirs licencieux, entre le comique et le tragique, entre la poésie et le théâtre, entre une société révolue et une époque à venir... Le travail en verre de synthèse est une possibilité d’aller plus loin dans la couleur, la lumière. Avec moins de forme encore, la couleur l’emporte sur le dessin. L’interprétation est encore plus contemporaine avec une lecture plus émotive, un visuel plus d’intériorité.

 

Les sept sculptures de ces Fêtes galantes ne sont que couleurs et transparences. A travers ce poème, Verlaine ouvre son cœur, livre son chagrin d’amour dans une confession voilée. La femme n’a pas d’identité nominale et leur relation laisse planer le mystère d’un amour partagé ou irréel, entre souvenir, désir ou amertume. La pureté des verres de synthèse permet de les traverser du regard et de laisser passer la lumière. Seule l’opacité du noir et du blanc en premier plan n’offre pas cette possibilité. Ces deux couleurs opaques sont comme des ombres qui obscurcissent la vie, le temps, l’Amour… Quelques petits amas de vert, de bleu et de rouge sont disséminés généralement en second plan entre les deux plaques translucides incolores. En plus de donner de l’épaisseur à ces réalisations murales, ces petites masses non homogènes avec des traces marron, arborent l’idée que l’espérance, la sève de la vie, le feu de l’amour restent toujours obscurs. Ces agrégats sont des aléas, des contingences qui s’introduisent inopinément ou successivement dans les illusions, si transparentes, si claires, si lumineuses. Ils symbolisent le gris et les nuances de Verlaine, poète maudit !

 

 

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Entre poème et musique, les Fêtes galantes de Verlaine mises en matière par la peinture et la sculpture donnent forme à des sentiments immatériels et intemporels. Dans ces illustrations faites de formes, de couleurs et de force résonnent une triste gaieté, un bonheur irréel, une sensualité mélancolique, des plaisirs artificiels, un amour que Verlaine souhaite oublier, comme tous les amants malheureux. Sa poésie moderne a su convaincre et inspirer un artiste au style contemporain. Les teintes des poèmes de Verlaine, pas toujours en tons francs et vifs ne peuvent cacher la violence de sa plume dans nombre de ses poèmes, la brutalité du personnage et la tragédie de sa vie. Verlaine n’est pas une personnalité fade et définie. La confusion des sentiments, l’irrationalité, la déraison, l’excès constituent son vécu. Sa poésie est autre chose qu’une mélancolie romantique. Les œuvres crépusculaires des Fêtes galantes que nous présentent Hubert Pauget sont ombres et lumières, couleurs sombres et illuminées, formes symboliques et sensorielles. Elles nous font percevoir la complexité existentielle, plutôt abstraite, de l’homme-poète Verlaine.  

Christelle Pauget, novembre 2009


 

[1] Présidente : Bérangère THOMAS, Metz

[2] Surnom donné par Paul Verlaine

[3] Paul CLAUDEL, Accompagnements. Œuvre en Prose. Gallimard, Pléiade, p. 491

[4] Nos Ardennes, Prolégomènes, 1882

[5] Verlaine a été élu « prince des poètes » par ses pairs en 1894.

[6] Mallarmé, Lettre du 18 décembre 1884

[7] Lette à Izambard du 25 août 1870

[8] Lettre à Paul Dememy du 15 mai 1871

[9] Mallarmé, Tombeau, Anniversaire – Janvier 1897

[10] A. Calbet, Berthold Mahn, Serge Solomko, Paul Emile Becat, Marianne Clouzot, André Dignimont….

[11] Louis Icart : 26 peintures en 1920, Seurat : dessins noir et blanc de 1951, Louis Joos : 86 illustrations de divers poèmes en 2002…

[12] Huit illustrations aquarelles des Illuminations d’Arthur Rimbaud, Le club français du livre, 1966

[13] Les poètes maudits, 1884

[14] Confessions, III, 1896.

[15] Ainsi qualifié aussi par Rimbaud dans la Lettre à Izambard du 25 août 1870 : « C’est fort bizarre, très drôle… »

[16] Par exemple : Les deux cousines – vers 1716 ou L’assemblée dans un parc - vers 1716, 1717

[17] Rimbaud piéton – juin 1872 ;  Rimbaud attablé avec son chapeau – décembre 1886 ; “Les voyages forment la jeunesse” – 1897 ; La musique adoucit les moeurs” – 1897 …

[18]. D’après l’inventaire dressé par Verlaine de ses biens en novembre 1872 à l’adresse de Le Pelletier, Verlaine avait laissé chez sa femme : un paysage de Courbet, un tableau de Monticelli, deux eaux-fortes de Rembrandt et deux de Dürer.

[19] Le Rossignol, dans la section Paysages tristes des Poèmes saturniens

[20] Colloque sentimental

[21] « oiseaux dans les arbres », « grands jets d'eau », «sous les ramures », « bassin », «Dans l'allée où verdit la mousse des vieux bancs », «coquillage incrusté dans la grotte », «roses naissantes », « lilas », « Sous la charmille », «pavillon à claires-voies », « vieux faune de terre cuite », « boulingrins », «champs », « eau qui rêve », « buisson », « parc », « allée », « Des pins et des arbousiers », « gazon roux »,  « chênes noirs »,  « fleurs » …

[22] « clair de lune », « lueur du soleil », « ombre … bleue et mourante », « soir équivoque d'automne », « étoile du berger », « noirs sous la lune », « la lune se lève », « molles ombres bleues », « lune rose et grise », « nuit », « demi-jour », « soir »…

[23] « amour », « larme », « rêve », « surprise », « cœur », « détresse », « dupes », « nous nous aimâmes », « je brûle » , « tu t’enflammes », « émoi », « folles passions », « Tristesses moites, pâmoisons», « Je languis et je meurs », « cœur plein d'amertume », «lamentable émoi », « des enlacements vains et des désirs sans nombre », « Mourons ensemble », « c’est triste », « pensers mélancoliques », « chagrin profond », « avenir solitaire et fatal », « cœur endormi », « désespoir », « extase ancienne », « L'espoir a fui »…

[24] Clair de lune, sous le titre de Fêtes galantes et Mandoline, sous celui de Trumeau sont les deux premiers poèmes parus dans la Gazette rimée du 20 février 1867. Mandoline sera finalement placée en 15ème position.

[25] Cette tache rouge évoque ce vers de Baudelaire :« Mon cœur ne sera plus qu'un bloc rouge et glacé. » Chant d'automne Publié en 1857 dans le recueil du " Spleen et Idéal " (Les fleurs du Mal)

[26] Victor Hugo a écrit le 16 avril 1869 à propos de « mais un, entre autres, me troubla » : « quel bijou que le dernier vers ! ». 

[27] Clair de lune

[28] Œuvres en prose complète, Pléiade 1972, p 766

 

 

Christelle PAUGET (fille de l'artiste), Novembre 2009

Copyright © Christelle Pauget 2010

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Lire aussi le texte de Philippe GROSOS, philosophe